La recherche clinique en sciences sociales

Extrait

Extrait de l'introduction de Vincent de Gaulejac, Florence Giust-Desprairies et Ana Massa On ne pense pas tout seul. Cet ouvrage collectif est le résultat d'une aventure intellectuelle, collective et institutionnelle, de production scientifique. Le Laboratoire de changement social dans lequel elle s'est déroulée a plus de quarante années d'existence. Fondé par Max Pages, dirigé par Vincent de Gaulejac depuis trente ans, codirigé par Florence Giust-Desprairies depuis bientôt dix ans, il est l'un des principaux pôles de la recherche en sociologie clinique, en psychosociologie et en psychologie sociale clinique, en France et dans le monde. Quatre générations de chercheurs s'y côtoient entre les fondateurs de la psychosociologie comme Max Pages et Eugène Enriquez, de la psychologie sociale clinique comme Jacqueline Barus-Michel jusqu'à des jeunes chercheurs qui viennent des quatre coins du monde pour effectuer leur thèse et se former à la démarche clinique dans la recherche en sciences sociales. Les contributions à cet ouvrage sont l'expression de cette pluralité géographique, générationnelle et disciplinaire. Les réflexions des uns et des autres ont été alimentées par des présentations et des débats qui ont eu lieu lors de séminaires et de groupes de travail organisés au sein du laboratoire. Ils reflètent le dynamisme généré, à la fois par la diversité des recherches menées à partir d'une orientation clinique commune et par la volonté des responsables de ces séminaires d'offrir à leurs doctorants un véritable espace d'élaboration collective. Professeurs, maîtres de conférences, docteurs et doctorants apportent ici leur contribution à la construction d'une orientation scientifique singulière qui prétend combiner deux postures a priori étrangères l'une à l'autre : une démarche méthodologique d'inspiration clinique, une démarche théorique inscrite dans les sciences sociales. La première partie, «Des enjeux épistémologiques», dessine les contours d'une épistémologie clinique dans un dialogue avec différentes disciplines et courants théoriques. Les auteurs mobilisés définissent une première cartographie des étayages, des influences et des frontières qui soutiennent notre orientation scientifique. Le dialogue et la discussion s'instaurent tour à tour par exemple avec Freud et Durkheim, Bourdieu et Sartre, Mauss et Castoriadis. En chemin sont convoquées différentes théories et disciplines, de la psychanalyse à la phénoménologie, de l'anthropologie à la philosophie en passant par les sciences dites «minoritaires» comme le genre. Ce vagabondage théorique et épistémologique permet d'explorer des questions au coeur de la sociologie clinique. En particulier, les relations entre le psychique et le social, la place de la subjectivité, de l'affectivité, de l'émotionnel, de l'imaginaire dans la recherche, la dimension inconsciente des phénomènes sociaux, ou encore comment les rapports de pouvoir et de domination influencent le rapport à l'objet, les relations avec les interlocuteurs, interviennent dans les dispositifs méthodologiques. La spécificité de l'approche clinique exige la prise en compte, dans l'analyse, de la façon dont le chercheur se trouve lui-même impliqué dans les situations qu'il est amené à traiter. Dans la deuxième partie «Mettre en travail l'implication du chercheur : une exigence scientifique», les auteurs explicitent le travail réalisé à partir de la subjectivité du chercheur dans le processus de construction de sa recherche. Entre implication et distanciation, compréhension et explication, exploration de l'éprouvé et analyse théorique, la recherche clinique définit une posture selon laquelle l'objectivité scientifique, loin de vouloir neutraliser la subjectivité du chercheur, la pose comme élément moteur de la production de connaissance.